24/05/2024

Camillo Chavez "riding all nations" interview

Camillo Chaves in Paris
par Dr Nonos

ENTRETIEN:

Je ne sais plus trop comment je suis tombé sur Camillo, certainement une errance sur Internet, un soir de pleine lune ; ce qui est sûr, c'est que je me souviens d'avoir halluciné sur ce gars qui voyageait dans des pays plus tendus les uns que les autres, toujours accompagné de son vélo. Il en a même fait un livre : des photos de voyages accompagnées de textes toujours bien sentis. Quand, après une courte enquête, je me rends compte que le type vivait à Paris, j'ai tout fait pour le rencontrer.

Autour d'un demi dans un bar de la place Clichy, voici l'entretien avec Camilo.

 

- Présentations :

Camilo Chaves né en 1982, en Colombie. Je commence le BMX en 1998 dans le centre de Bogota, la Street !Avant, je ne voulais pas voyager, c’était pas notre envie, on ne pensait pas sortir de Colombie. Je ne savais pas, je n'avais pas la culture de l'ouverture au monde. La neige, les murailles, la tour Eiffel dans les films, les guerres autres que les nôtres, on croyait que c’était des inventions !

Je n'étais pas intéressé par partir loin. La Colombie c'était dangereux, il y avait des kidnappings et les distances sont longues, tu ne pouvais pas voyager comme ça. Aller à l'étranger c'était impensable, en plus, il faut un visa pour beaucoup de pays quand tu es colombien.

 

J’avais 24 ans quand j’ai voyagé en avion par la premier fois et j’ai pris mon vélo pour rencontrer les riders au Chili et Argentine,

A mes 30 ans, j’ai fini les 5 ans d’études d’ingénieur et j’ai fait 1 an à Londres, mais la France avait refusé de me donner un visa, Du coup, depuis Londres et avec mon salaire de taxi-vélo, j'ai visité la Pologne, le Maroc, l’Asie de l’est et la Chine, le Japon aussi.

Je suis rentré en Colombie où je suis allé travailler dans plus de 10 pays d’Amérique Latine, je prenais toujours mon vélo.

Finalement je suis parti étudier en Espagne, il y a 15 ans , en 2009. J'ai fait un master en télécommunications et j'ai vécu 2 ans en Suede pour faire une thèse et suivre une suédoise. Ca m'a permis de visiter tous les pays nordiques avec l’avantage d’avoir un travail, un BMX et de parler un peu la langue.

J'ai rencontré une française en Norvège, on est parti 1 an en Chine ensemble.

J'ai profité des opportunités.

Ma copine était prof de français dans un petit village à la campagne, j'ai obtenu un visa étudiant de Mandarin pour pouvoir rester. J’étais obligé de ne pas rater les cours au risque d’être expulsé du pays. J’ai fini par pouvoir bien parler le Mandarin avec les riders locaux, c'était en 2013, j’ai visité plusieurs pays de la région.

Je suis rentré en Colombie 2 ans et puis j'ai été en France. Je suis venu seul avec juste un sac à dos pour réclamer la garde partagée de ma fille Mathilda qui n’avait qu’un an à l'époque.

 

Maintenant, mon projet, c'est de continuer à visiter des pays avec mon vélo, j'en ai déjà vu 80. J'irai bien en Afrique sub-sahariennne mais pas pour juste y aller, mon objectif c'est d'avoir quelque chose à y faire, avoir un projet.

J'ai toujours (ou presque) amené mon Bmx. Le vélo c'est une excuse, un outil pour rencontrer des gens, des riders locaux. Souvent, ils me disent : « tu es le premier étranger à venir nous voir ». Il y a vraiment des pays oubliés, ils attendent les gens...

Mon niveau en vélo est moyen mais j'essaie toujours de faire mon maximum pour ne pas les décevoir. Je me force à donner le maximum de moi quand je suis avec les locaux et ne pas avoir peur des blessures à l’étranger. Devoir rentrer en forme pour ma fille m’a fait m'améliorer énormément.

 

  • Ton dernier voyage était en Bosnie, pourquoi ce pays par exemple ?

 

C'est un choix par rapport à tout ce que j’ai vu dans les médias : la guerre, l’histoire, ça fait 2 fois que j'y vais. Sarajevo, la piste de Bobsleg abandonnée des J.O. , c’est mon ami français David qui l’a descendu à toute vitesse, j’ai roulé toute la Yougoslavie.. son histoire .

Je suis attiré par l'histoire des pays, le Japon, la Serbie... tout ça. Le 1er pays en conflit où j'étais, dans la région, c'est le Kosovo.

En 2017, j'ai été en Moldavie , avant je voyageais dans les pays en bus, en train... Là-bas, j'ai découvert la route à vélo, en Bmx. J'allais d'une ville à l'autre, c'était ma première expérience sans payer d'hotel. Je contactais des gens par FB pour dormir chez l'habitant, ne pas payer d’hôtel.

En Lituanie, Montenegro, Pologne, Ecosse j'ai dormi en tente, je fais aussi beaucoup du couch-surfing.

Depuis que j’ai ma fille je pars maximum 3 semaines, après, je dois revenir en France m'occuper d’elle.

J’ai traversé l’Ukraine dès la Rusie à la Pologne 3 mois avant la guerre avec la Russie, j'ai vu mes amis prendre les armes, et je suis revenu en 2023.

 

  • Pourquoi tu voulais aller en Ukraine ?

 

La video de street « Urodi », les gars étaient trop fous, c'est comme en Colombie, je voulais voir ça. En France, les gens sont plus prudents. En Colombie, en Ukraine, on se jette plus. Mes amis ukrainiens étaient à fond dans le BMX mais avec la guerre, ils ont arrêtés de rouler, ils ont arrêtés leur passion. Maintenant, c'est 50% Bmx / 50% armée.

Je suis retourné en Ukraine, donner de l'espoir, montrer qu'ils n'étaient pas oubliés.

Je suis attiré par les pays en guerre. En tant que Colombien, je les comprends. La Colombie, avant, c'était comme ces pays, avec la guerre contre les narcos... Tu as besoin d'être visité.

 

  • C'est un avantage d'être colombien ?

 

La Colombie, c'est un pays « neutre », nous ne participons pas à des guerres, on n'envahit personne , on n'est pas une menace. C'est un avantage, les gens n'ont rien contre les colombiens. Par contre, j'ai besoin de visa partout... c'est un obstacle.

 

  • Tu as traversé 200 fois des frontières, tu as a déjà eu des soucis ?

 

En Israel, c'est très dur. Les gardes pointent leurs fusils sur toi.. 3 heures d'enquête, ils te posent 3 ou 4 fois les mêmes questions. Israel, c'est le plus tendu. J'ai eu peur d'aller en prison, ils voulaient garder mon vélo pour analyses, je leurs ai dit : « gardez mon vélo, je pars ». Je voulais vraiment quitter ce pays. Je suis entré à vélo par la frontière avec l'Egypte, sorti par la Jordanie pour aller en Palestine. J'ai passé les frontières à velo mais j’ai aussi pris le bus. Jericho, Ramallah, Nablus Jerusalem pendant le Covid... 3 tests et un refus de traverser car il faut un permis. J'ai montré des papiers au hasard. C'est des gens bizarres. J’ai fait un backflip dans le seul park de la Palestine, j’étais satisfait.

 

  • Pour ton livre, qui évolue au fil de tes voyages, comment tu écris les textes sur chaque pays, comment tu prends les photos ?

 

C'est 15 ans de voyage. Au début, pour moi, les photos étaient le plus important puis, au fur et a mesure, le texte a pris de l'importance. Il s'appuie sur les images, et les images ont besoin du texte, c'est complémentaire. Je racontais les choses vécues dans le pays, des petites histoires.. maintenant, j'essaie plus de montrer la culture, l'Histoire. Je pense aux colombiens qui ne connaissent pas, pour qu'ils comprennent le contexte, le ressenti, les expériences, les rencontres, ce que les riders disent de leur pays, je ne vais pas dans les sites touristiques, je rencontrent les riders locaux.. J'espère que ça reste intéressant.

 

Le livre est centré sur mon histoire mais celle du pays dépasse souvent mon histoire personnelle. Je veux montrer le chemin parcouru, des riders locaux et un peu de la culture que j’ai vu.

 

L'idée du livre c'est de faire un chapitre par pays, que tu puisses l'ouvrir à n'importe quelle page et lire, tu lises un jours la Mongolie, un autre jour tu l’ouvres et tu trouves le Groenland, et comme ça.

Je veux montrer que ces pays, ceux que j'ai visité, existent, qu'ils sont réels... Jordanie, Monténégro, Liban, Honduras, en tant que colombien, je ne savais pas que ça existait, je croyais que c'était des inventions de la télévision...mais c'est bien réel, c'est des gens comme nous qui aiment le BMX comme nous mais qui n’ont pas accès aux mêmes choses que nous.

 

J'ai été très surpris en Ecosse, c'est un très beau pays, la nature à perte de vue, des animaux, des iles sauvages très loin dans la mer. En Mongolie, tu repars 100 ans dans le passé. En Islande, j'ai séjourné chez des riders qui vivaient sur une île avec deux volcans, l'île avait été détruite par une irruption, il y a 50 ans.

 

  • D'un point de vue technique, comment as-tu fais le livre ?

 

J'ai du apprendre la mise en page, rechercher et choisir les photos, trier , trier, et encore trier... Un livre c'est un espace réduit.

 

Au Liban, j'ai séjourné avec un rider dans des quartiers contrôlés par le Hezbollah, impossible de prendre des photos. Pas souvent d'électricité, j'étais avec des riders locaux. Pendant les sessions ils s'arrêtaient pour aller prier, 3 fois par jour. Je suis rentré dans les mosquées, c'est très tranquille à l'intérieur, comme les églises. C'est un endroit de tranquillité.

 

Depuis le Liban, on m'a donné des contacts en Syrie. J'ai ramené des pièces de BMX. C'est plus facile d'avoir des pièces à partir du Liban même si c'est surveillé par le Hezbollah.

 

  • Parle nous des frontières, comment ça se passe ?

 

J'ai eu des problèmes en Israel avec le « travel tool » Odyssey, l'armée croyait que c'était une pièce de fusil.

Pour passer les frontières à vélo, ce que j’ai fait beaucoup mais pas toujours, ne pas faire de bruits avec les chaussures pour freiner, cacher son appareil photo. En Croatie, j'ai presque pris une amende pour avoir pris une photo à la frontière.

 

En Israel, les gardes frontières te prennent les chaussures, le téléphone, ils analysent tout. Tu dois effacer les photos avant, et te les envoyer par e-mails.

J’ai passé 2 nuits en garde à vue et été expulsé de la Turquie et de la Macedoine, mise en garde à vue Albanie pour suspicion. J’ai passé un interrogatoire en suédois en entrant en Russie, au Nicaragua j’était le seul à descendre du bus, les douaniers ont cherché des produites illicites dans mon vélo, J’ai été refusé en Pologne depuis l’Ukraine, j’ai du tenter une deuxième fois par une autre frontière.

En Syrie j’ai du payer une agence obligatoire qui donnait un bakchich à chaque controle militaire pour passer. Pour quitter Chypre, j’ai traversé à pédale la zone démilitarisé. J'ai été viré de la frontière Romano-Moldave où se trouve le pont Eiffel car c’était une zone militaire.

 

En Ukraine, c'est des femmes militaires à la frontière. J'étais hébergé chez mes amis locaux. J'ai dépensé 100 euros pour 2 semaines..

 

  • Tu profites de tes voyages pour ramener des pièces de BMX avec l'association SHARE A SMILE/SHARE A SMILE, racontes nous un peu...

 

En Algérie, ils ont besoin de poignées. Sur leurs guidons, ils ont enroulés des chambres à air pour faire des poignées comme on faisait avant, en Colombie.

J'ai ramené plein de pièces et 2 vélos entiers de l’asso. Au Liban, Syrie et au Maroc aussi, l’asso est gerée par un Argentin en Allemagne, il récupère de pièces en bon état et les envoie gratuitement dans tous les coins du monde.

Les pièces dont les gars ont le plus besoin en général, c'est des poignées, des roulements de direction.

 

  • Les photos que tu prends ?

 

J'essaie toujours qu'on voit le vélo qui s'introduit dans la vie journaliere des locaux. Je ne cherche pas trop à les travailler, c'est du street. Les meilleurs photos sont celles prises sur le vif. J'ai toujours mon appareil avec moi ; c'est spontané, j’aime bien faire des tricks sur les monuments.

 

  • Le téléphone ?

     

Je voyage toujours avec le téléphone le moins cher en cas de vol, de perte ou de casse..

 

  • Tes prochains voyages ?

     

Le Népal, à Katmandou, ou en Irak, apporter des pièces de BMX avec Share a Bike/ Share a Smile. Cuba, Le Panama et la République Dominicaine… cette année.

 

  • Après avoir vu tous ces pays, tu aimerais vivre où ?

 

En Espagne, pour la langue, l'ambiance, il manque un peu le coté sauvage de la Colombie mais il y a le développement et la sécurité en plus. Je suis en France juste pour ma fille mais si je ne suis pas en voyage tu me verras faire du vélo 2 ou 3 fois par semaine, sans faute. J'ai un titre de séjour à renouveler tous les ans, ils m'ont refusé la nationalité pourtant j'ai un dossier impeccable.

 

 

Grand MERCI à Camillo pour toutes ces histoires folles. Son livre exceptionnel nous fait voyager, nous ouvre l'esprit, grâce au Bmx.

Le livre est dipo ici

« Ni barreaux, ni barrières, ni frontières »

Pour l'instant il n'y a pas de commentaire

Ajouter un commentaire

Gras Italic Souligné Centré Lien Taille: Couleur:

Hébergement/Webmaster tty11.com
© BanosDistro; Conception graphique et éditoriale : La Bobine